La douce saveur de l’amertume

Attention, cet article date de 5 ans, les informations peuvent ne plus être à jour...

Parmi les goûts et les saveurs, certains comme le sucre font l’unanimité et est très apprécié par tous les être vivants.

D’autres en revanche, sont plus difficiles à avaler, c’est surtout le cas de l’acide et du salé.

Mais celle qui fait vraiment débat c’est l’amertume.
Pour preuve, l’amertume est connotée très négativement dans notre langage.

Pour ne pas confondre amertume et astringence, je vais faire un rapide point : l’amertume c’est un goût perçu par la langue. Les produits amers les plus courants sont l’endive, la bière houblonnée (surtout les styles IPA), le pamplemousse, la chicorée, le chou de Bruxelles ou encore le café noir.
L’astringence est une sensation dans la bouche d’assèchement, surtout au niveau des gencives. Les produits courants astringents sont le kaki (surtout quand il n’est pas mûr !), le thé, certains vins rouges.
On peut très bien avoir les 2 en même temps évidemment.

Fun fact : Les plantes astringentes réduisent la sécrétion de liquide et rétractent les tissus avec lesquels elles sont en contact, c’est pour ça qu’on a l’impression que nos gencives se rétractent, parce que c’est ce qu’il se passe en fait… Très utilisés pour cicatriser ! Ou pour faire du tannage de peau.

Naturellement, on ne supporte pas l’amertume. On apprend à l’apprécier et ce, de manière culturelle.
De nombreux pays consomment régulièrement des aliments amers qui sont ancrés dans leur culture.
C’est le cas du Karela (légume de la famille des concombres) dans certaines régions de l’inde.
Plus tôt vous serez habitués à les goûter, et plus tôt vous les apprécierez.

D’un point de vue évolutif, la présence de récepteurs à la saveur sucrée et aux acides aminés a permis une reconnaissance des meilleures sources alimentaires riches (énergétiquement parlant mais aussi pour nos besoins en acides aminés).
L’acidité permet d’apprécier le degré de maturité ou le degré de fermentation des fruits et de pouvoir ainsi les consommer au moment optimum pour faciliter la biodisponibilité de plusieurs nutriments indispensables comme les vitamines ou les oligo-éléments (les minéraux).

En ce qui concerne la saveur amère, on peut la considérer comme faisant partie d’un système d’alarme et de protection contre des composés potentiellement toxiques (des poisons).
L’immense majorité des composés amers provient du monde végétal. Pour se protéger contre les prédateurs herbivores, les plantes élaborent des substances de défense au goût dissuasif et sont souvent perçus comme amers.
Cependant, certains composés amers apparaissent lors de la transformation de certains aliments (torréfaction du café) ou de la fermentation.
Mais de nombreuses plantes sont amères sans être toxiques.

Cependant, on oublie souvent la domestication des aliments. Tout comme certains animaux, on a domestiqué au cours des siècles des végétaux. Par exemple, le chou était toxique et pour pouvoir le consommer on le faisait fermenter (en choucroute). La salade et l’aubergine sauvage sont beaucoup trop amers pour être mangés comme tels !
Certaines plantes comme la tomate, la pomme de terre ou l’aubergine contiennent encore actuellement dans leur fruits et tubercules des substances amères et toxiques, mais sans danger si on n’en consomme pas en excès.
Pour consommer ces aliments, de nombreuses préparations ont été inventé (trempage, fermentation, cuisson, etc) pour éliminer l’amertume et donc les composés amers et potentiellement toxiques.

On dispose sur la langue de nombreux récepteurs différents pour détecter l’amertume (et donc différentes classes de poisons possibles), alors que pour le sucré ou le salé, 1 seul récepteur suffit.
On est aussi très très sensibles à l’amertume et sommes capables de la détecter à de très faibles concentrations, alors qu’on est très faiblement sensibles au sel et au sucre (pour pouvoir en manger davantage).

Fun fact : Le sel n’est pas un exhausteur de goût, il apporte un goût salé, cache l’amertume mais n’augmente pas le reste des saveurs.

Avant l’arrivée de l’industrie, de nombreux aliments consommés étaient amers. Depuis, on s’efforce à cacher cette amertume (par du sucre par exemple) ou à la supprimer.

La perception de l’amertume est très individuelle, tout le monde n’est pas du tout égal sur ce point. Des mutations au sein des populations pour les récepteurs de l’amertume font que certains ressentent beaucoup plus l’amertume que d’autres et ça peut expliquer les habitudes alimentaires entre pays.
Ce qui est marrant, c’est qu’il semblerait que les personnes les plus sensibles à l’amertume, notamment à la caféine seraient les plus grands consommateurs de café. Un plaisir à la consommation d’un poison pour insecte ?

Fun fact : Il a été montré que les composés amers sont perçus sur la langue mais aussi ailleurs dans le corps (nez, poumons, intestins) et déclenchent des réaction de défenses immunitaire. Autrement dit, quand un composé amer est détecté, votre corps s’active pour détecter des intrus bactériens entre autres.
Cet effet est inhibé (supprimé) en présence de sucre. Le sucre ne fait donc pas que masquer l’amertume, il supprime purement et simplement sa détection.

Plus qu’une (re)découverte de ce goût, c’est surtout une habitude à prendre de manger moins sucré et d’apprécier les aliments pour ce qu’ils sont avec l’ensemble de leur goût qui les rend uniques.


Je mets en lien un PDF que j’ai trouvé très abordable et très riche : https://www.mediachimie.org/sites/default/files/sens_p189.pdf

Un article sur la domestication des légumes: https://www.semencemag.fr/que-devient-le-gout-des-legumes.html

Un article d’une historienne de l’alimentation : http://segolene.ampelogos.com/news/role-et-importance-de-l-amer


Bonus !

Les cartouches de jeux de la Nintendo Switch contiennent du Benzoate de denatonium, un puissant agent d’amertume pour ne pas que les petits avalent les cartouches :D

2 avis sur l'article “La douce saveur de l’amertume”

  1. Knah Tsaeb dit :

    Attention tout de même l’amertume, comme tu l’as très bien expliqué, est une alerte. Il ne faut pas la négliger.

    Par exemple dans nos potager il arrive fréquemment de planter différentes cucurbitacée (melon, courge, courgette…), lors de la pollinisation par les insectes, il se produit parfois des hybridation. Cette hybridation entraîne des fruits qui sont parfois délicieux et parfois très amère.

    Ce derniers peuvent être néfaste, voir dangereux pour la santé. Il est conseillé de goûter un petit morceaux cru et si il est très amère mieux vaut s’abstenir.

    https://toxinfo.ch/647_fr
    https://www.femmeactuelle.fr/sante/news-sante/courges-amers-intoxications-50441

    • Lokoyote dit :

      @Knah Tsaeb :

      C’est une alerte mais qui peut se tromper. Nos sens ne sont pas infaillibles, loin de là.

      Un exemple simple c’est la fermentation. Les produits fermentés sont, de prime abord rejetés, considérés comme toxiques alors que non.

      Certains de ses produits alimentaires, surtout dans certains pays sont assez répugnants mais se mangeaient et se mangent encore car permettent de compléter la palette nutritionnelle.
      C’est le cas par exemple du Kiviak (qui se suffit à lui-même je crois) ou du Nuoc-mâm qui a une odeur de poissons pourris.

      Ou simplement, les enfants qui rejettent les légumes lors de leur premiers contacts mais qui finissent par les apprécier (http://observatoirecuisinespopulaires.fr/2017/06/13/face-aux-legumes-enfants-disent-beurk/)

      Un aliment peut aussi ne pas avoir de goût ou d’odeur particulier et être contaminé par des (myco)toxines

      Mais il faut aussi savoir écouter ses réflexes qui n’ont pas toujours tort c’est clair, l’exemple des courges hyper amères est un bon exemple ! C’est pour ça que ces courges ne sont pas destinés à l’alimentation mais à l’ornementation.
      Mais clairement, de base, l’amertume c’était pour détecter les poisons je pense, mais vu que les aliments amers ont été domestiqués, maintenant on ne risque plus grand chose à les manger

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