Piratage administratif : vers une minimisation de la gravité des données volées

Internet c’est pratique pour l’administratif mine de rien ! Plus besoin de paperasse à rallonge, de formulaires à transférer entre les services, moins de risques d’erreur liées à la recopie des papiers par les personnes en charge de remplir les dossiers, gain de temps pour remplir des formulaires etc.

Le revers de la médaille étant bien évidemment le stockage des informations sur des serveurs avec les risques de vol d’informations.

Le problème, c’est que le vol de données c’est pas simple à voir sur un serveur. Ce n’est pas comme voler chez quelqu’un, il n’y a pas forcément de trace d’effraction. Puis si la porte est laissée grande ouverte par inadvertance, personne ne peut savoir qu’il y a eu intrusion.

Évidemment, beaucoup de sites se font pirater. Certaines informations sont stockées sur des serveurs reliés à internet alors qu’ils ne devraient pas et des informations sensibles sont accessibles.

On oublie bien souvent que nos informations administratives sont également touchées par ces vols.

France Travail a été récemment touché par un acte de vol de données. Ce n’est pas la première fois et ça ne sera pas la dernière.

Cependant, ce qui me surprend toujours c’est la minimisation des risques qui entourent les données.

Je cite :

Parmi les éléments concernés, on trouverait notamment les « noms et prénoms, dates de naissance, identifiants France Travail, adresses mail et postale et numéros de téléphone ». Les données bancaires ne sont, elles, pas concernées, ajoute France Travail.

Comme si la seule donnée sensible était les données bancaires et que le reste n’avait pas vraiment d’importance.
C’est une phrase bateau qu’on retrouve souvent dans les communiqués envoyés afin de noyer le poisson et de minimiser la panique et la gravité de ces vols.

La vraie question c’est de savoir ce qu’on peut faire avec les autres données volées autres que les données bancaires !


Le risque principal reste le « phishing » ciblé.

Les pirates peuvent se servir des données volées pour envoyer des mails, SMS ou appels très crédibles, semblant venir de France Travail, d’une banque, d’un recruteur ou de tout autre organisme.

J’ai récemment été confronté à ce souci :

Je reçois un appel un jour, alors que j’étais au travail, d’un organisme disant être lié à ma mutuelle et que je devais voir avec eux pour une procédure afin de débloquer une option de remboursement sur mon compte.

Après quelques échanges, on me demande de confirmer certaines informations comme mon mail et autres, tout en me donnant des informations personnelles telle que mon organisme mutuelle, mon adresse postale, mon numéro de téléphone et d’autres infos qu’ils avaient. L’échange se poursuit un peu et on me dit qu’on va me mettre en communication avec un responsable pour la suite du dossier. On me rappelle certaines informations et on me demande finalement de « confirmer » mon RIB. La confirmation est évidemment fausse, ils voulaient que je leur donne mon RIB tout simplement.

Ce qu’on peut faire avec un RIB ? Des fraudes SEPA évidemment (des prélèvements sur votre compte sans autorisation SEPA), de l’usurpation d’identité bancaire et du phishing ciblé pour plus tard (en m’envoyant de fausses alertes en se faisant passer pour ma banque pour prélever de l’argent).

Évidemment, j’avais un doute, mais là clairement c’était du phishing. Ne jamais donner des informations personnelles de ce type par téléphone ! Je les ai bloqué et reporté en SPAM téléphonique.

J’ai attendu de voir comment l’échange allait se poursuivre en étant conscient que c’était potentiellement une arnaque car je suis méfiant et que je sais que ça existe.

Beaucoup de personne ne sont pas aussi méfiantes et peuvent clairement se faire avoir car on a l’interlocuteur met en confiance et semble de bonne foi, qu’il a réellement un dossier avec des informations qu’on a l’impression d’avoir déjà fournies, on ne se doute pas tout de suite que ça peut être une tentative d’escroquerie.

Le point d’entrée sensible : votre boîte mail

Vous n’imaginez pas à quel point votre boîte mail DOIT être très importante à sécuriser. Surtout si vous n’avez qu’une seule boîte mail.
Administrativement, même si c’est un peu en train de changer et de se sécuriser d’avantage, pour se connecter à vos comptes en lignes on peut utiliser :

  • Votre adresse mail
  • Votre numéro de téléphone
  • Votre identifiant

Il faudra ensuite votre mot de passe. Ce mot de passe peut être modifié et récupéré via votre mail avec les options « mot de passe oublié ». Il suffira à quelqu’un d’avoir accès à votre boîte mail pour pourvoir absolument tout récupérer. C’est pour ça qu’il est important d’activer la double authentification : https://www.cybermalveillance.gouv.fr/tous-nos-contenus/actualites/double-authentification
(ce n’est pas parfait mais c’est toujours mieux que rien !).

Si vous ne devez le faire que sur une chose, faites le pour votre boîte mail et choisissez un mot de passe fort ! (long, avec beaucoup de caractères, une phrase. C’est le nombre de caractères qui compte le plus dans la robustesse, minimum 16 caractères — https://nordpass.com/fr/blog/how-long-should-password-be/).

On m’a récemment partagé une astuce très intéressante : savez-vous que vous pouviez créer quasiment autant d’adresse mail que vous le souhaitez ? Pour cela, il faut utiliser des Alias, ce sont des dérivés de votre adresse mail qui permettent de vous inscrire facilement sur différents sites sans devoir utiliser votre adresse mail principale. Même si elle est liée à votre mail principal, quand il s’agira de données volées et réutilisées en masse, les pirates ne feront pas attention qu’il s’agit d’un alias.
L’astuce est donc de créer un alias pour chaque compte. Par exemple, pour vous inscrire sur Amazon, utilisez un alias avec le nom « amazon ».
Comme ça, si un jour vous recevez un mail de banque destiné à votre adresse mail contenant l’alias « amazon » vous saurez qu’il y a eu potentiellement une fuite de données chez Amazon et que le mail reçu est faux.

À lire pour connaître les différences entre mail jetables et alias et comprendre lesquels sont mieux que d’autres.

Autre risque, l’usurpation d’identité

Avec des informations comme le nom complet, l’adresse, la date de naissance et le numéro de sécurité sociale, les cybercriminels peuvent :

  • Ouvrir des comptes bancaires ou des crédits à votre nom et vous endetter sans que vous ne le sachiez.
  • Accéder à certains services publics ou privés à distance en se servant de vos vraies informations qui permettent de créer un compte et de récupérer ensuite de l’argent.
  • Modifier des informations administratives (via des services en ligne comme Ameli, impots.gouv, etc.) et récupérer l’argent des droits.

Fraude sociale ou administrative

Les données peuvent être utilisées pour faire de fausses démarches auprès de services sociaux, comme la CAF, Pôle emploi, ou la Sécurité sociale.
L’argent sera ensuite reversé sur un compte bancaire qui n’est pas le votre.

Revente de données sur le dark web

Même si elles ne sont pas utilisées immédiatement, ces données peuvent être revendues à d’autres groupes cybercriminels.
Ces infos de masses serviront plus tard à du faux démarchages pour essayer de voler votre argent par des fausses campagnes de mail ou téléphoniques.

Le recoupement de données, la clé de voûte de toute bonne usurpation

Recouper les données c’est simplement rapprocher des données qui semblent être liées.

C’est de plus en plus simple avec la masse de données qu’on laisse sur internet, à partir d’un pseudo il est possible de retrouver une personne parfois.

Avec l’arrivée des outils d’IA ça sera encore plus simple et plus rapide de reconstituer des profils complets de personne avec des bribes d’informations disséminées de partout sur le net.
Ces informations, indépendamment les unes des autres, ne sont pas vraiment exploitables mais mises bout-à-bout permettent d’avoir la totalité des informations requises pour usurper l’identité de quelqu’un.

Un vol de données sur 2 sites internet sans aucun rapport l’un de l’autre peuvent être suffisant pour faire coïncider suffisamment d’informations.

Une minimisation des risques pour minimiser la panique

Minimiser la panique peut se comprendre, mais minimiser le risque, je ne suis pas d’accord.

Les différentes techniques employées :

  • Dire qu’il ne s’agit que d’une simple « consultation » et non d’un « vol » de données :
    la simple consultation par un tiers malveillant est déjà une violation grave.
  • Insister sur l’absence de données « sensibles » :
    Cela relativise la gravité de la fuite, même si d’autres données personnelles (nom, e‑mail, date de naissance, statut professionnel) permettent déjà de mener des attaques sérieuses, comme le phishing ciblé ou l’usurpation d’identité.
  • Minimiser le nombre de personnes touchées :
    Ils évitent parfois de rappeler que plusieurs attaques successives peuvent toucher des millions de personnes au total (ex. : France Travail en 2024 + 2025 = potentiellement plus de 43 millions cumulés).
  • Éviter de parler de conséquences concrètes :
    Le discours officiel évite presque toujours les termes comme « usurpation d’identité », « fraude », « escroquerie », « phishing » etc.
    À la place, on lit souvent :
    « Nous n’avons à ce jour aucune preuve d’utilisation frauduleuse des données. » (exemple concret, autre exemple).
    Mais cela ne signifie pas que le risque est inexistant, seulement qu’aucune victime ne s’est encore manifestée ou que la preuve est difficile à établir.
  • Communiqué rassurant, médiatisation contrôlée :
    « Nous avons immédiatement pris les mesures nécessaires. », « Une enquête est en cours. », « La CNIL a été informée. »

Les administrations minimisent souvent les risques réels après une fuite de données par choix stratégique : elles communiquent de manière à protéger leur image, tout en respectant formellement la loi (notamment le RGPD qui impose une information des personnes concernées).

Mais la réalité technique est souvent bien plus grave que ce que le langage officiel laisse entendre.


Enquête et sanctions CNIL

La CNIL ouvre une enquête pour déterminer si l’organisme a :

  • respecté le RGPD (Règlement général sur la protection des données),
  • mis en place des mesures de sécurité suffisantes et proportionnées (article 32 du RGPD),
  • notifié correctement les personnes concernées.

Si des manquements sont constatés, la CNIL peut prononcer :

  • un avertissement,
  • une mise en demeure (corriger la sécurité, revoir la gouvernance…),
  • une amende administrative.

Les personnes atteintes par le vol de données, elles, ne gagnent souvent rien.


L’usurpation d’identité peut se faire avec moins de documents que ce que beaucoup de gens imaginent

Documents ou informations souvent suffisants pour une usurpation d’identité :

  • Document d’identité officiel (ou une copie numérique) : Carte nationale d’identité (CNI), Passeport. Une simple photo ou scan suffit, surtout avec les services en ligne (banques, opérateurs télécom, etc.).
  • Justificatif de domicile : Facture (électricité, gaz, téléphone, etc.), Avis d’imposition, Attestation d’hébergement.

Exemples concrets de fraude avec usurpation :

1. Ouvrir un compte bancaire en ligne

De nombreuses banques en lignepermettent une ouverture de compte avec :

  • une pièce d’identité scannée,
  • un justificatif de domicile,
  • un selfie ou une vidéo de « vérification d’identité » (facilement contournable avec de fausses images ou des IA).

2. Souscrire un crédit à la consommation ou acheter un téléphone à crédit

Un fraudeur peut :

  • utiliser vos infos + un faux RIB
  • passer commande à votre nom
  • laisser la dette à votre charge (jusqu’à contestation)

3. Informations personnelles clés

Même sans scan de documents, certaines informations personnelles suffisent parfois à créer un faux profil “crédible”, notamment pour les services automatisés :

  • Nom et prénom
  • Date et lieu de naissance
  • Adresse postale
  • Numéro de téléphone
  • Adresse e‑mail
  • Numéro de sécurité sociale (NIR)
  • Situation professionnelle (ex : demandeur d’emploi, salarié)

Ces données sont souvent présentes dans des bases piratées, comme celles de France Travail.

4. Créer des comptes administratifs (Ameli, impots.gouv, CAF)

  • Accès à vos droits sociaux
  • Détournement de prestations
  • Modification d’informations personnelles

Un risque négligé : les dossiers de bailleur

Les dossiers locatifs exigés par de nombreux bailleurs (particuliers ou agences) contiennent exactement les pièces nécessaires à une usurpation d’identité complète.

➔ Ce qu’un bailleur demande souvent pour un dossier de location :

  1. Pièce d’identité (CNI, passeport, permis)
  2. Justificatif de domicile actuel
  3. Trois dernières fiches de paie ou attestation Pôle emploi
  4. Avis d’imposition
  5. Relevé d’identité bancaire (RIB)
  6. Contrat de travail ou attestation de l’employeur
  7. Justificatif de situation professionnelle ou de revenus (CAF, France Travail, etc.)

➔ Que peut faire un fraudeur avec ce dossier ?

Ces documents cumulés permettent de :

  • Usurper complètement l’identité de la personne (nom, adresse, emploi, signature, NIR, etc.)
  • Ouvrir des comptes bancaires ou souscrire à des crédits
  • Déclarer de fausses situations sociales (CAF, RSA, etc.)
  • Accéder à des services publics (Ameli, FranceConnect, etc.)
  • Créer de fausses sociétés ou déclarations d’auto-entrepreneurs
  • Faire du blanchiment d’argent ou sous-louer illégalement un logement en se faisant passer pour le locataire

Votre fiche de paie contient énormément d’informations personnelles telles que votre numéro de sécurité sociale, votre adresse, vos noms et prénoms.

Le problème : l’envoi de ces dossiers n’est pas encadré ni sécurisé

  • Beaucoup de locataires envoient leur dossier par e-mail, via des plateformes peu fiables, ou à des inconnus sur des sites d’annonces (ex : LeBonCoin, PAP, Facebook).
  • Il n’est pas rare que de faux bailleurs publient de fausses annonces uniquement pour collecter des dizaines de dossiers contenant des pièces sensibles.
  • Il n’y a aucune obligation légale pour le bailleur de prouver son identité ou son intention réelle de louer.

Une personne voit une annonce d’un logement intéressant, contact l’annonceur qui lui demande d’envoyer un dossier complet afin de faire sa sélection avant que la personne ne puisse voir le logement. La personne se sent obligée de fournir l’ensemble des documents pour attester sa bonne foi en voulant maximiser les chances d’avoir le logement et fait donc la démarche comme c’est souvent demandé et se fait voler son identité.

J’avais contacté la Banque de France il y a quelques années pour justement avoir des informations sur cette pratique, mon interlocuteur m’avait dit qu’il y avait énormément de fraudes et de cas de vols de données suite à ce genre de pratique.

Ce n’est malheureusement pas illégal de demander autant d’informations pour un bailleur. Par contre il existe des techniques pour se protéger.

Principes de base pour sécuriser vos documents

Bonne pratiqueDétail
Floutez les données non nécessairesGardez seulement ce qui est strictement demandé
Ajoutez un filigrane ou une mentionEx : « Transmis uniquement pour location – Nom du destinataire – Date »
Envoyez via un lien sécurisé ou PDF protégé ou via un lien temporaire avec expirationÉvitez les pièces jointes brutes en e-mail
Ne transmettez jamais tout le dossier d’un coupDemandez d’abord des preuves de légitimité du demandeur

Ce que vous pouvez masquer légalement (ou restreindre)

DocumentCe que vous pouvez masquer sans que ce soit illégal
Carte d’identité / passeportNuméro du document, date d’expiration, lieu de délivrance
Avis d’impositionNuméro fiscal, revenu global, nombre de parts, NIR
Fiche de paieNuméro de sécurité sociale, SIRET de l’entreprise, montant exact du salaire si le bailleur demande juste une estimation
RIBCode IBAN partiellement masqué (derniers chiffres floutés)
Justificatif de domicileNuméro client, référence de contrat, QR code (électricité, téléphone)
Attestation Pôle emploi / CAFNuméro allocataire, montant exact des aides, code d’accès personnel
Contrat de travailSIRET, coordonnées RH, clauses sensibles ou confidentielles

Vous devez laisser visibles les éléments qui prouvent la cohérence de votre situation (nom, adresse, employeur, date), mais vous pouvez masquer toute donnée numérique pouvant être utilisée pour une fraude.

L’apposition d’un filigrane peut également être un atout même s’ils sont de plus en plus simples à enlever avec les IA. Si jamais, un outil du gouvernement existe : https://filigrane.beta.gouv.fr/
Il est possible de le faire vous-même avec un logiciel pour PDF ou d’images.

Demandez la légitimité du destinataire

Avant d’envoyer quoi que ce soit, vous avez le droit d’exiger :

  • Une copie de la pièce d’identité du bailleur
  • Un titre de propriété ou taxe foncière
  • Un RIB du bailleur à son nom
  • Un mandat de gestion (si c’est une agence)

Si la personne refuse de vous fournir ces preuves mais exige vos documents complets, c’est un signal d’alerte fort.

Vous pouvez également vérifier si des comptes à votre nom ne sont pas ouverts via le fichier FICOBA (Fichier des Comptes Bancaires) : https://www.cnil.fr/fr/saisir-la-cnil/ficoba-fichier-national-des-comptes-bancaires-et-assimiles

Les machines à faire douter – DEFAKATOR

Un bon complément à la vidéo précédente et qui répond aussi en partie à certains des points que j’avais ajouté :)

L’IA fait du SALE sur ses propres recherches – DEFAKATOR

Vidéo intéressante et assez courte qui mérite d’être regardée même si on apprend pas forcément grand chose quand on a déjà bien potassé le sujet !

J’en profite pour ajouter 3 points également qui ne sont pas indiquées :

  • C’est quoi une source d’information fiable pour ces IA et comment choisissent-elles les sites les plus pertinents lorsqu’elles font une recherche en ligne ? (réponse de ChatGPT)
  • Le fait que les articles créés par ces IA (donc avec des erreurs) se retrouvent en masse sur le net et servent à leur tour de base de données, ce qui induit donc des informations avec beaucoup plus de risque d’erreurs lorsqu’on leur demande.
  • Le fait que des IA comme ChatGPT demande à l’utilisateur de choisir quelle réponse parmi un choix il « préfère ». Ça m’arrive régulièrement avec ChatGPT, il me demande quelle réponse je préfère alors que les 2 réponses n’ont rien à voir, parfois l’une est juste et l’autre fausse, parfois c’est plutôt sur le fond que les réponses diffèrent.
    Mais si je pose une question c’est que je ne connais pas la réponse normalement, donc comment puis-je choisir une réponse que je « préfère » (sur quels critères ?) plutôt que d’avoir la réponse la plus pertinente possible.
    Exemple vidéo

Clair Obscur, un jeu convaincant et assez riche (sans spoil)


Clair Obscur, ce jeu que tout le monde parle depuis un moment… Je dois avouer que je lui ai mis plus de 80h au final, autant dire qu’il a été très bien amorti de mon point de vue !

Le jeu est-il innovant ?

Oui… et non.
Clair Obscur reste un RPG tour par tour avec des arbres de compétences pour chaque personnage, des armes et des compétences évolutives et une certaine dynamique.
Sur le papier, rien de révolutionnaire : le jeu reprend des mécaniques déjà vues ailleurs, la thématique a déjà été explorée, et on a déjà vu mieux en termes de graphismes ou de physique.

MAIS !

Il réussit un exploit rare : combiner brillamment tous ces éléments pour créer une expérience profondément engageante, notamment grâce à l’implication du joueur à plusieurs niveaux.

Un jeu que j’ai savouré jusqu’à la dernière seconde

Je vais être honnête, j’ai raclé les profondeurs du jeu autant que possible et bu jusqu’à la dernière goutte de ce qu’il pouvait me donner. J’hésite à refaire une NG+ (nouvelle partie +) pour revivre l’histoire avec un nouveau regard, même si je sais que la première fois restera unique.
Le dernier jeu qui m’a fait cet effet a été « Outer Wilds » (qui n’est pas du tout dans le même genre).

Malgré ses airs de jeu AAA (jeux issus d’une très grosse équipe, d’un très gros budget et d’un gros marketing pour le vendre), il reste un jeu indépendant issu d’un studio inconnu qui a sorti son premier jeu et qui a essayé de faire le mieux qu’il pouvait avec un budget inconnu (mais assez généreux je pense tout de même pour un AA).

Un jeu marquant tant par sa profondeur que par son implication émotionnelle.

J’aime les jeux indépendants, ça fait des années que j’ai découvert cet univers. Au départ par manque de moyens (être étudiant et jouer à des jeux à 50€ c’était pas compatible) puis par envie.
Parce qu’au fond, la qualité graphique ne fait pas un grand jeu. Ce sont les idées, l’âme, l’audace des créateurs qui comptent (même s’il faut parfois une bonne claque visuelle pour avoir un bel effet, comme dans certains films).

Mes comptes Steam et GOG sont remplis de pépites que j’ai adoré faire et refaire, de par l’audace des créateurs pour apporter des mécaniques intéressantes, des directions artistiques sortants de l’ordinaire et de très belles histoires à raconter.

Je ne dis pas que tous les jeux indépendants cochent ces cases ni que les gros studios ne prennent pas de risques et ne font pas d’innovation, mais il est souvent plus “rentable” pour un gros studio de faire un jeu moyen qui plaît à tout le monde plutôt qu’une œuvre clivante qui ose.

Clair Obscur a su redynamiser l’univers indépendant en éclipsant d’autres jeux (il est sorti le même jour que le remake d’Oblivion, un remakeEncore… Quand on ne veut pas prendre de risque et faire de l’argent facile, on joue sur la nostalgie des joueurs, un jeu sorti il y a 20 ans tout de même et revendu à prix fort) ce qui montre aussi une volonté d’un certain nombre de joueurs à vouloir des expériences narratives fortes et des gameplay innovants.

Clair Obscur n’est pas un RPG tour par tour à l’ancienne, le style s’est amélioré et a évolué avec son temps en essayant d’ajouter des petites choses en plus.
Que vous jouez à « Valkyrie Profile », « Xenoblade », « Final Fantasy » (les anciens) ou même « Baldur’s Gate 3 », chaque jeu a ses subtilité qui font qu’ils sont incomparables entre eux.

Clair Obscur a choisi un tour par tour dynamique avec des contres et des parades actives, un système de compétences et de construction des tours entre les personnages assez particulier.
Les compétences s’enchaînent en synergie entre les personnages, rendant chaque affrontement stratégique et vivant.

La difficulté est aussi présente, chose rare de nos jours. Pour avoir faire le jeu en normal je l’ai trouvé très bien dosé pour moi, mais il est possible de le faire en mode FACILE et même TRÈS FACILE (apporté récemment dans une mise à jour) pour que tout le monde puisse jouer (la difficulté peut être changé d’un clique en cours de partie si jamais vous trouvez le jeu trop dur ou trop simple).

Pour info : il y a des options pensées pour les personnes sensibles (désactivation du flou, de certains mouvements de caméra, etc.).

Il n’est pas aussi punitif qu’un jeu « Souls » (Dark Souls), mais il donne le même sentiment de satisfaction lorsqu’on arrive enfin (!) à finir un combat qu’on avait du mal à faire (sans le côté lent et chiant des Souls). Ce qui demande donc évidemment au joueur de s’investir un minimum pour se challenger (s’il le souhaite, encore une fois, la difficulté est modulable à la volée)

La bande sonore n’est pas en reste (plus de 8h de musique composée), tout comme dans un film la bande sonore participe activement à l’ambiance du jeu. Des musiques qui restent en tête, reconnaissables facilement et qui entretiennent le lien entre le joueur et le jeu même une fois celui-ci éteint.
Le dernier jeu à m’avoir fait cette sensation et m’avoir donné envie de garder ce lien par la musique a été « NieR:Automata », le style s’en rapproche par moment cette sensation un peu d’envoutement, le fait de ne pas tout comprendre nous laisse rêveur…
De plus ici, certaines musiques prennent tout leur sens une fois que l’on a compris certains éléments de l’histoire (attention, ne pas écouter toute la playlist avant d’avoir fini le jeu au risque de se spoiler !).

Le joueur est impliqué pour comprendre ce qui se passe dans ce puzzle émotionnel et scénaristique

Ici, le joueur est actif et impliqué à chaque instant.

Les combats demandent au joueur de la concentration pour maîtriser les subtilités de la mécanique et de rester attentif pour contrer/parer/esquiver (mécanique clé du jeu) afin de survivre et de surmonter l’épreuve.
La difficulté croissante permet d’être toujours un peu tendu sur les combats, ce n’est pas facile mais ON SAIT qu’on peut y arriver avec de l’effort.
S’en suit évidemment une grande satisfaction qui contrebalance le côté intense (adrénaline et endorphine, très connu pour la gamification).

Les personnages sont tous uniques et ne sont pas interchangeables. 5 personnages avec des compétences uniques et leur propre histoire, un certain attachement se crée face à ce petit groupe qu’on apprend à connaître.

Le jeu ne livre pas tout par exposition. Le joueur découvre l’univers par les détails, les dialogues, les silences dans certaines scènes, ce qui crée une immersion plus profonde et demande de réfléchir. Ce genre d’histoire où la profondeur est donnée en filigrane est très typique du jeu « NieR:Automata » (que je recommande évidemment par sa profondeur philosophique qui n’est pas visible de prime abord) ou encore l’excellent « Hadès ».
Certains choix de dialogues ou de mise en scène obligent à s’interroger et demandent de prendre position.

La variation de rythme entre les combats intenses et les scènes presque contemplatives avec de très beaux décors de lieux assez uniques les uns des autres et les musiques très travaillées accentue l’impact émotionnel du jeu.

Enfin, l’histoire très humaine nous parle par son concept très existentiel et nous fait cogiter inconsciemment sur l’existence de ces personnages et de cet univers très particulier où la mort est omniprésente. On éprouve de l’empathie envers les personnages et on comprend leur besoin.

Un jeu linéaire mais une narration à puzzle, émotionnelle et intelligente

On est loin des jeux récents qui veulent à tous prix faire des mondes ouverts (parfois trop vides pour ce que ça apporte) et des jeux à choix multiples à succès (« Detroit: Become Human », « Baldur’s Gate 3 » et autres) qui peuvent permettre une grande re-jouabilité.

J’ai tendance à comparer un bon jeu à un bon livre, on est assez pressé de connaître la fin de l’histoire mais quand vient la fin, on a envie que l’histoire continue.
Clair Obscur m’a laissé cette impression. L’histoire est linéaire mais maîtrisée. On sent la fin approcher… et on aimerait pouvoir la repousser un peu plus.

Le jeu est assez poétique, les interprétations à plusieurs niveaux font réfléchir.

Une histoire humaine avec des thématiques universelles qui aide grandement à son succès.
De fortes émotions, dès le départ, donnent le ton. Un univers qui reste potentiellement ouvert et à creuser, des twists intéressants et le côté « puzzle » de l’histoire qui reprend les codes de certains films/séries (jusqu’à certains cadrages cinématiques) où l’aventure se construit scène après scène, indice après indice, jusqu’à recomposer un tout cohérent, donne envie d’en savoir toujours plus.

Un monde où la mort rôde, où le temps est compté. Il donne envie de creuser, de comprendre.
C’est un jeu qui se vit autant qu’il se joue.


D’autres jeux indés qui m’ont marqué :

  • Soma
  • Hadès
  • Pyre
  • Outer Wilds
  • What remains of Edith Finch
  • Undertale
  • One Shot
  • Hellblade: Sanua’s Sacrifice
  • The Stanley Parable
  • Return of the Obra Dinn

EDIT :

Petit rajout pour dire que je ne comprends pas les joueurs qui se plaignent que le jeu est difficile, de l’absence de mini-map, qu’il faut apprendre les patterns d’attaque des ennemis, que la fenêtre de parade est trop courte, ou que les boss OPTIONNELS sont trop durs.
Le jeu a ses défauts, mais clairement pas ceux-là.

C’est le souci dès qu’un jeu commence à se faire connaître et passe la barrière du jeu de niche à celui de jeu « casual », les joueurs qui ne connaissent que les jeux « simples » et faciles des studios AAA avec tout un tas d’assistance, se sentent complètement perdus.

Heureusement, on peut voir la note du jeu sur Steam et se rendre compte que beaucoup de joueurs ne se s’expriment pas et ne se plaignent pas et profitent du jeu tel qu’il est.
Mais ceux qui râlent (et qu’on voit donc) juste parce que le jeu ne les prend pas par la main — je ne comprends pas. On dirait que la difficulté dans les jeux vidéo n’existe plus et que tout doit être fade et facile, sans aucun effort.

Franchement, les jeux de nos jours sont pré-mâchés, je comprends qu’on les oublie facilement, on suit la direction indiquée, on ne profite ni du gamedesign, ni du plaisir d’explorer et clairement le jeu n’est pas un labyrinthe (s’il y a 2 choix de chemins possible c’est vraiment le maximum). On se laisse guider et on devient simple spectateur.
Galérer un peu, c’est apprendre et retenir et ancrer l’expérience, ça fait partie de l’expérience joueur et ça permet de se souvenir du jeu et de nous marquer.

Personnellement, je ne trouve pas qu’éliminer un boss en un seul coup soit satisfaisant, et je pense que ça devrait idéalement être évitable — mais ça fait partie du jeu. Cela dit, ce n’est pas parce qu’on peut tuer un boss en un coup qu’on doit le faire. C’est dommage que certains ne comprennent pas que le combo « frustration + échec + réussite » quand c’est bien dosé, sont ce qui rend la satisfaction possible.

Oui, le jeu est difficile — mais c’est aussi ce qui le rend génial. Très peu de jeux modernes offrent autant de satisfaction avec si peu de frustration. On sait que chaque combat est faisable, il faut juste du temps et de l’engagement pour arriver à les passer.

Les développeurs ont eu la très bonne idée de rendre le jeu beaucoup plus facile en mode histoire.
Donc franchement, il n’y a aucune raison de se plaindre de la difficulté alors qu’on peut la modifier à tout moment.

Ce n’est pas un jeu fait pour les joueurs occasionnels, ni pour les joueurs « smartphone » ou les joueurs assistés, mais la courbe de progression est bien faite et n’importe quel joueur qui s’investit pourra le faire même en mode facile.

Merci aux développeurs pour ce jeu incroyable qui m’a permis de passer un excellent moment et de m’avoir permis de me challenger de façon aussi satisfaisante.

Mes jeux du moment – Mai 2025

Des jeux « du moment » avec plus ou moins quelques mois haha.


Control

Sorti en 2019, PC et console.

Un bon petit jeu d’action à la 3e personne très cinématographique rappelant les films de Nolan (Tenet, Inception, etc.) dans la mise en scène et dans les combats.

Un histoire très en filigrane où on se laisse guider en essayant de comprendre les mystères de ce Bureau particulier basé dans l’univers de « Fondation SCP » (le côté un peu X-Files, les secrets paranormaux gardés par un Bureau secret).

Plutôt sympa, une bonne 20aine d’heures pour finir l’histoire principale.


Dishonored 2

Sorti en 2016.

Suite direct du 1er du même nom. Jeu d’action à la 1e personne où le choix du joueur de tuer ou non influe sur l’histoire du jeu avec des changements subtils au départ qui prennent de l’ampleur en continuant.

Personnellement je l’ai trouvé moins bien que le 1er, les conséquences de nos actions sont bien moins marquées sur le level design et sur l’environnement, mais il reste sympa à faire tout de même.

Une bonne 40aine d’heures pour finir le jeu des 2 manières possibles.


Prey

Même développeurs que « Dishonored » (Arkhane Studios).

Sorti en 2017.

Jeu de tir à la 1e personne dans l’espace.

Un jeu difficile ! Je ne l’ai pas fait en difficulté max (« Cauchemar » !) ni avec les options de « survie » qui ajoutent encore plus de masochisme (la combinaison qui fuit, la détérioration des armes ou encore les traumatismes physiques sur le personnage !).

L’histoire est vraiment sympa, les ennemis ont la particularité d’être très rapide et de pouvoir mimer des objets de l’environnement immédiat (en prenant l’apparence d’une lampe de bureau par exemple). Quelques jumpscares assurés !

Un rare jeu où je me suis dit « Wow ! » en sortant pour la 1e fois dans le vide spatial, n’entendant que le bruit de la respiration du personnage, la lumière changeante de la station au gré de sa rotation et de ne pas savoir où se trouve le « haut » et le « bas », une sensation très bizarre !

Une bonne 30aine d’heures pour finir l’histoire principale. Des choix de sauvetage moraux sont présents, à vous de voir si vous souhaitez sauver les quelques survivants et de savoir si la fin débloquée sera à la hauteur de vos choix !


Visage

Sorti en 2020 en version définitive.

Jeu d’horreur psychologique à la première personne se déroulant dans une maison avec de multiples secrets qu’il faudra découvrir.
Chaque secret partitionne une histoire en 3 chapitres qu’il faudra débloquer avec certains objets à trouver et de choses à réaliser durant les phases « calmes » de l’exploration.

Rien ne vous indique vraiment ce qu’il faudra faire, il y aura des phases où vous serez bloqués pendant un moment en essayant de trouver LA clé ou l’objet qui vous fera avancer, il faudra donc être attentif et explorer de fond en comble cette maison.

Chaque chapitre a une ambiance particulière et sa difficulté propre. Ils ne sont pas tous égaux en terme de réalisation ni de difficulté.
Un jeu qui joue beaucoup sur l’ambiance.
Aucun combat possible, vous devrez fuir ou trouver des zones lumineuses pour ne pas succomber aux ténèbres.

Fortement inspiré de jeux comme « P.T » (Silent Hills’ Playable Teaser, sorti en 2014), « Amnesia » ou encore « Outlast ».

Assez perturbant je dois avouer, des sujets assez difficiles traitant de la folie, très imagé (parfois trop, n’hésitant pas à tomber dans le gore), j’ai dû faire quelques pauses parfois pour m’aérer l’esprit et avoir des choses plus légères en tête !

Quelques jumpscares voire des « faux jumpscares » efficaces mais vraiment une ambiance trèèès prenante.

Le prochain qu’il faut que je fasse ce sera MADiSON.


Clair Obscur: Expedition 33

C’est évidemment LE jeu du moment.

Sans parler de « jeu de l’année » vu que l’année n’est pas encore finie, ça reste un bon jeu soigné en écriture.

Un RPG en tour par tour un peu à l’ancienne avec de nombreuses subtilités dans les mécaniques, demandant d’être pro-actif en combat pour parer les attaques ou les esquiver, indispensable pour progresser.

Un jeu EXIGEANT ! C’est la première fois depuis bien loooongtemps que je commence un jeu en Difficile et reviens rapidement à une difficulté Normale. Mais QUEL PLAISIR de réussir à passer des boss après plusieurs heures de combats acharnés et d’arriver à ne pas se prendre de coups !

Clairement le jeu est dur, presque punitif où il faudra exceller dans l’art de contrer, il n’y aura jamais assez de niveaux pour les personnages pour faire beaucoup de dégâts et encaisser les trop nombreux assauts. Le rythme, voilà le secret du jeu, comprendre le pattern des ennemis, compter les secondes avant de parer au bon moment tant la fenêtre est réduite. Mourir et recommencer, encore et encore et encore et se féliciter de chaque avancée.

Il est rare qu’il y ait besoin de « farmer » de l’expérience pour avancer dans l’histoire, la difficulté est clairement maîtriser pour être croissante. Seuls les boss optionnels demanderont de revenir plus tard.

Une ambiance un peu « Belle époque » française (début 20e siècle), tournant autour de l’univers de l’art et surtout de la peinture (« Clair-Obscur » en même temps…).

L’histoire est vraiment belle, très intrigante et qui se dévoile par « touches », des phases joyeuses avec de l’humour à la française et des phases sombres/tristes, une bande son très onirique avec quelques musiques qui restent bien en tête, un univers riche à explorer même une fois l’histoire principale presque finie.

Très cinématographique, très fantasy, très français !
Beaucoup d’inspiration dans le gameplay d’autres jeux plus ou moins connus.

Pas dénué de défauts pour autant, comme la physique qui reste à désirer due à « Unreal Engine » qui peut faire criser dans certains passages de « sauts », ou encore, la recherche constante des endroits un peu secret et qui nécessite qu’on se jette constamment dans le décor pour savoir quand les barrières invisibles sont présentes ou non au risque de se coincer un peu…

Plus de 60h pour le moment et toujours pas fini… Les testeurs qui annonçaient le jeu en 20h ont clairement torché sans profiter du plaisir de réussir des combats avec de la difficulté ni de l’ambiance générale.

Quelques liens à lire intéressant :
https://www.gamekyo.com/blog_article475808.html
https://leclaireur.fnac.com/article/591060-clair-obscur-expedition-33-3-choses-que-vous-ignorez-sur-le-rpg/